Marie-Elisabeth Faymonville est une sommité dans le monde de l’hypnose. Cette anesthésiste-réanimateur, qui dirige le Centre de la douleur du CHU de Liège, assure que “chaque individu possède le fonctionnement cérébral” permettant de réagir à l’hypnose. Ce qui permet notamment de soigner des dépendances (cigarette, alcool). Elle met cependant en garde, notamment face aux shows : “l’individu est fragilisé” durant ce processus.
Lors de l’hypnose, dans quel état mental se trouve le patient ?
Ce n’est pas “état” mais un “processus” car cela varie, fluctue, ce n’est pas statique. Le patient est dans ce qu’on appelle un “processus de conscience modifiée”. Il a l’impression de vivre un autre rapport à lui-même et à son environnement. Dans notre quotidien, la conscience varie d’un moment à un autre : nous sommes parfois hyper focalisés sur quelque chose ou, à l’inverse, dans les nuages. Dans ce processus, le patient peut ne plus ressentir son corps, ne plus en avoir la même perception, ou même avoir l’impression d’être hors de son corps. Le patient peut aussi déployer une force hors du commun, comme on le voit quand les gens utilisent une force musculaire qui permet de se maintenir allongé et droit entre deux chaises.
Que se passe-t-il dans le cerveau ?
Si vous demandez à l’individu en conscience normale de se remémorer un moment de vacances, il utilise surtout des régions au niveau temporal et fait donc une “remémoration autobiographique” : il rappelle des endroits, des activités… Quand vous faites le même exercice sous hypnose, on voit que les régions de la vision, de la motricité, de la sensation sont activées (vous vivez les vacances), tout comme les sensations kinesthésiques (vous ressentez le soleil, l’eau, le vent, vous entendez les sons). Sous hypnose, vous vivez les choses et vous avez des sensations et des émotions de ce moment précis.
Que dites-vous, que faites-vous pour aider le patient à plonger en hypnose ?
La personne “glisse” spontanément, d’elle-même en hypnose. Nous utilisons une technique de communication spécifique pour l’aider à glisser dans ce processus. Pour que cela marche, il faut trois conditions.
- 1) La motivation. Cela peut être la curiosité, parce qu’il doit être opéré, ou parce qu’il a envie de venir à bout d’un problème comme la douleur chronique ou l’anxiété.
- 2) Le contexte, qui doit être favorable.
- 3) La confiance en la personne qui accompagne dans l’hypnose. Cette collaboration est importante car le patient doit pouvoir suivre toutes les instructions données par le personnel de santé.
Toute personne peut être réceptive à l’hypnose ?
Oui, parce que c’est un talent, un fonctionnement cérébral que chaque individu possède. Tout le monde peut se mettre en hypnose. Cependant, le talent n’est pas développé de la même façon chez chacun. Il y a des “virtuoses” et des “apprentis” de l’hypnose. C’est comme le dessin, la gym, la musique : le talent n’est pas développé de la même façon chez chacun.
L’hypnose est utilisée en médecine pour affronter notamment une dépendance à la cigarette ou à l’alcool. En quoi cela aide-t-il ?
C’est un outil pour activer la motivation, le fait qu’on adhère à son propre projet, qu’on vive de façon prospective cette sensation de ne plus être dépendant. Tout cela peut aider l’individu à se sentir bien. Si le patient ne montre aucune motivation à sortir du problème, alors cela n’a pas de sens de proposer l’outil hypnose. Ce n’est pas une solution miracle qui arrête toute dépendance. Et vous, comment vous servez-vous de cet outil dans votre pratique ? Je me sers de l’hypnose différemment selon les domaines. Pour les douleurs chroniques ou en oncologie, j’apprends au patient à l’utiliser pour qu’il puisse le faire par lui-même chez lui à travers des exercices d’auto-hypnose. Pour les anesthésies, pendant une opération, j’accompagne le patient tout au long de la chirurgie.
Est-il possible que la personne ne sorte pas tout à fait de l’état dans lequel elle est plongée ?
Oui, si le soignant ne neutralise pas suffisamment l’hypnose. Alors le patient se sentira mal, ce qui n’est pas très agréable. C’est pour cela qu’il faut se méfier de l’hypnose de rue ou de certaines pseudo séances de relaxation où l’on utilise les techniques hypnotiques. Dans certaines sectes aussi, ces techniques sont utilisées pour assujettir l’autre mais sans être présentées comme telles. L’individu qui se met en hypnose change sa façon de recevoir les suggestions. Sa crédivité (sentiment qui fait croire sans besoin de preuve) augmente alors que son raisonnement, son jugement et son analyse diminuent. L’individu est donc fragilisé.
Les hypnotiseurs qui se servent de la pratique lors de spectacles utilisent-ils les mêmes procédés qu’en médecine ?
Oui, mais l’intention diffère… Ce qui me dérange dans les spectacles, c’est que l’on maintient l’idée que c’est un pouvoir de l’un sur l’autre. Ce qui est totalement contraire aux principes de l’hypnose thérapeutique où le client reste conscient de ce qui se passe.
Or, dans ce processus, l’hypnotiseur de foire amène sur scène des “virtuoses” de l’hypnose, mais ce n’est pas lui qui les plonge en hypnose… Autre chose qui me dérange : l’hypnose coercitive. Quand il voit que quelqu’un résiste, l’hypnotiseur s’amuse à faire agir le participant. Cela peut avoir des conséquences délétères pour l’individu, qui peut avoir l’impression d’avoir subi un viol de lui-même. S’il a été forcé de faire de l’hypnose alors qu’il pensait cela impossible, c’est très désagréable.
Messmer affirme avoir hypnotisé 422 personnes en même temps. Est-ce crédible ?
Ce n’est pas lui qui les a hypnotisées… Il avait juste, à ce moment-là dans la salle, 422 personnes qui avaient ce talent bien développé. Il est tombé sur un bon échantillon…
Jusqu’où la personne hypnotisée peut-elle répondre aux injonctions ?
Quand il est heurté dans son éthique ou juste pas d’accord de continuer, l’individu peut sortir du processus hypnotique naturellement. Cependant, les “virtuoses” peuvent être amenés très loin dans le processus. C’est à la personne qui travaille avec eux de garder un regard critique. Lors d’une opération, le patient pourrait sortir du processus ? Dans un processus, on peut fluctuer et donc ne pas être en permanence profondément en hypnose. Il se peut que, dans le bloc opératoire, le patient remarque ce qu’il se passe. A ce moment-là, je l’invite à aller plus profondément dans son vécu agréable. Mais n’oubliez pas que le chirurgien a fait une anesthésie locale de l’endroit qu’il opère, donc il y a une protection. Il y a des médicaments aussi qui sont administrés, et dont les “apprentis” ont davantage besoin que les “virtuoses”.
Quelles sont les grandes questions que les chercheurs se posent encore sur l’hypnose ?
Il y en a énormément. Par exemple, on ne sait pas quels sont les neuromédiateurs qui permettent d’expliquer qu’on ne ressent plus la douleur sous hypnose. Quels sont les neuromédiateurs en jeu lors d’hallucinations visuelles, kinesthésiques, auditives ? Il y a aussi énormément d’interrogations sur la relation entre la personne en hypnose et celle qui l’accompagne. On ne connaît que quelques morceaux de ce grand puzzle qu’est le cerveau.
Appelez-vous à ce que la profession soit protégée ?
Je voudrais que ce soit le client surtout qui soit protégé !
Initialement, l’hypnose était réservée au personnel médical car il connaît bien les pathologies et les risques. Pourtant, des gens qui n’ont aucune compétence dans le domaine du soin l’utilisent même dans des domaines sensibles comme les états dépressifs, ce qui est très dangereux. Cet outil n’est pas assez protégé et il y a pléthore d’écoles qui vous délivrent un diplôme d’hypnothérapeute sans que l’élève n’ai suivi de formation en psychopathologie.
Les clients/patients doivent être très vigilants et systématiquement demander quelle est la compétence de celui qui travaille avec eux. Un bon thérapeute a aussi un vécu, diverses expériences et acquis complémentaires car travailler avec l’humain parfois très fragilisé est une lourde responsabilité.
Inspiré de l’article de Jonas Legge pour LA LIBRE.BE